POUR QUI SONNE LE GLAS

Cet article que nous avions publié en 1990 reste d'actualité. Schwartzenberg vient de mourir mais l'affaire Humbert vient de nous révéler qu’il y a aujourd'hui au moins deux ministres pressés de le remplacer dans le rôle de promoteur de l'euthanasie.

"Je vais faire une petite sieste ; peux-tu surveiller mes prises ?"
"Je vais faire une petite sieste ; peux-tu surveiller mes prises ?"
Mieux qu'une déclaration officielle, qu'une initiative parlementaire, "l'affaire Schwartzenberg", relative à l'euthanasie, nous prévient : d'ici peu la loi permettra "l'interruption" de la vie pour mettre fin aux souffrances de grands malades ou de personnes très âgées.
C'est un véritable montage, une entreprise de désinformation à la hauteur de celle de l'avortement : un médecin fameux, Léon Schwartzenberg est suspendu un an par le Conseil de l'Essonne de l'Ordre au titre de l'article 33 du code de déontologie pour avoir facilité la fin d'un patient ; notons que l'appel, et de l'intéressé et du ministre de la Santé est suspensif et que le docteur Schwartzenberg ne risque donc pas grand chose, d'autant qu'entre temps son avocat Maître Georges Kiejman est devenu ministre délégué de la Justice[1]... Cette affaire rappelle ce que nous avons connu en 1971 pour imposer l'avortement à la société française : le procès de Bobigny. On avait alors utilisé le procès de l'avorteuse et de la mère d'une jeune fille pour en faire une machine politique grâce à l'avocat propagandiste de la malheureuse, Gisèle Halimi. Tout de suite après l'acquittement, 343 "vedettes" déclaraient avoir avorté sans être inquiétées.
La Chancellerie ordonnait aux parquets de ne pas poursuivre les auteurs, complices et propagandistes de l'avortement. Que faire lorsqu'une loi n'est plus appliquée car, non seulement plus respectée, mais surtout défiée ? On supprime, ou on change cette loi. Quant à l'Ordre des Médecins, après un sursaut timide, on le contraint à s'adapter ou à disparaître ; généralement il conserve pour lui l'instinct de survie retiré aux autres (cf. La Trêve de Dieu, en novembre-décembre 1989, 'Médecins : un Ordre sous influence'). C'est le même scénario qui nous est ressorti aujourd'hui. D'abord, on prépare l'opinion publique que l'on attendrit, comme un boucher attendrit la viande.
De l'avortement à l'euthanasie : la boucle est bouclée ; la vie humaine des innocents naguère sacrée dépend maintenant de l'aval, de la reconnaissance de ses proches et de la société. On prétend certes mettre des garde-fous : l'euthanasie sera réservée aux malades qui la réclameront et lorsque la science sera impuissante à envisager une guérison. Oui mais la victime, souvent jeune, d'un accident : qui décidera de la 'débrancher' : son conjoint, sa famille ? De même pour l'avortement, qui décide, exclusivement et sans appel de la mort du bébé ? la mère. Il y aura les mêmes débats byzantins sur la différence entre "coma profond" et "coma dépassé" que sur la nature du zygote, de l'embryon et du foetus. Chez les plus respectueux de la vie, on parlera de "personne résiduelle" comme on qualifie de "personne potentielle" le bébé non encore né. Dans tous les cas on connaît le chemin : Nacht und Nebel. A ceux qui crieraient au retour à la barbarie, celle du grand-père esquimau abandonné sur la banquise ou de l'aïeul papou qu'on fait grimper au cocotier, on répliquera qu'il est enfin temps de se débarrasser d'un ethnocentrisme obsolète et de respecter d'autres "cultures" ; et d'autres rajouteront que "nous devons apprendre d'eux".
Enfin, il y aura bien un évêque saxon, ou normand, pour venir enseigner, à la télévision, qu'une vie trop lourde pour l'entourage familial doit savoir être généreuse et, déjà habitué à solliciter l'Évangile, il saura rappeler "qu'il n'y a pas de plus grande preuve d'amour que de donner sa vie pour ceux que l'on aime". "Dis, Pépé, tu nous aime ?" demandera avec gourmandise la donzelle porte-parole de la famille, comme un candidat à l'héritage dans un mauvais drame bourgeois ; d'autant que, comme le titrait récemment un magazine, avec l'allongement de la durée de la vie, les quadragénaires auront, ou ont déjà, en charge leurs parents septuagénaires et leurs grands-parents nonagénaires... ça fait beaucoup de monde.
Il doit y en avoir des états de détresse assez tragique et sociale chez tous ces gens. Rajoutons que déjà les caisses de sécurité sociale retraite ne peuvent faire face à leurs obligations que par des ponctions sur les caisses familiales et avec les subventions de l'État. A courte échéance, le vieillard ou le grand malade sera un luxe insupportable pour la société. Quelles familles pourront supporter les frais d'une longue maladie, à l'issue de toute façon fatale, surtout chez une personne âgée, improductive, si la sécurité sociale ne la prend plus en charge ?
L'analogie entre l'avortement et l'euthanasie dépasse une simple ressemblance ; dans la nouvelle éthique ce sont des critères économique, ceux du goût et du confort qui se substituent à l'ancienne loi morale.
Il n'y aura pas beaucoup à chercher pour rédiger le texte de la loi ; celui de la loi Veil-Pelletier-Roudy fera l'affaire ; il suffira de remplacer "enfant" par "malade". On devrait d'ailleurs faire une loi commune ; on parlerait de "sujet", et tout le monde sera concerné. Quant aux lieux d'exécution, ils existent déjà et se nomment "centres d'orthogénie" ; il suffira d'élargir leur champ de compétence.

P. Nemo


[1]. Notre prévision de l’époque sur l'impunité de Schwartzenberg s’est révélée exacte : en 1993 le Conseil d'État a annulé sa "suspension".

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