SANTÉ REPRODUCTIVE ET ABUS LÉGISLATIF
par Mgr Héctor Aguer, archevêque de La Plata, Argentine.

Mons. Héctor AGUERLa province de Buenos Aires possède à présent son Programme de Santé Reproductive et de Procréation Responsable, établi par une loi qui, après un très long délai, a été approuvée par les deux chambres en un tournemain. Si mes informations sont correctes, le projet finalement examiné a obtenu le vote unanime des représentants du peuple. On a du mal à admettre que pas un seul sénateur, pas un seul député, n'ait eu la lucidité et le courage de refuser son assentiment à cet abus législatif. La discipline de parti et la crainte d'être hué par les cliques «progressistes» ont eu raison de l'indépendance d'esprit et de la responsabilité de la conscience.
L'expression «abus législatif» peut sembler par trop sévère ; je l'emploie ici, de manière tout à fait respectueuse, pour désigner le mauvais usage, l'usage excessif et injuste d'une autorité. En effet, qui sont ceux qui réclamaient la sanction de cette loi ? A-t-elle seulement figuré comme une proposition claire, dans les plate-formes des partis ? Est-ce bien cela que demande le peuple de la province de Buenos Aires, tellement éprouvé, tellement soumis à des carences, tellement atteint dans ses espérances ? La qualification d' «abus» n'est pas irréfléchie de ma part. Elle est basée sur un enseignement lumineux de la tradition catholique, formulé par Jean XXIII dans son encyclique Pacem in Terris dans les termes qui suivent : «L'autorité constitue une exigence de l'ordre moral et émane de Dieu. C'est pourquoi, si les gouvernants promulguent une loi ou rendent un arrêt quelconque contraire à cet ordre et, par conséquent, opposé à la volonté de Dieu, dans un tel cas, ni la loi promulguée ni l'arrêt rendu ne peuvent obliger en conscience le citoyen, puisqu'il faut obéir d'abord à Dieu, ensuite aux hommes ; et ce qui est pire, dans une situation semblable, l'autorité cesse d'être telle et engendre un abus épouvantable.» Dans le vote de la loi provinciale ont probablement pesé l'impatience du Ministre national de la Santé, qui a besoin de décharger son amas de pilules et de housses élastiques, ainsi que la poussée et l'entêtement de quelques personnalités marquantes de la vie politique nationale qui ont alimenté les fabriques toujours actives de l'idéologie féministe.
Le programme approuvé, comme celui imposé par le Parlement de la Nation, ratifie une ingérence de l'État dans l'intimité de la famille et de la vie personnelle des citoyens, succédané maladroit d'une bonne politique familiale. Les législateurs ont assumé comme un devoir et une fonction de l'État l'incitation à une procréation responsable, comme s'il était dans les capacités et la compétence des organismes publics de déterminer quand la procréation est responsable ou dans quelle mesure les Argentins jouissent de la santé sexuelle. C'est ici qu'affleure le socle idéologique de l'initiative, et avec lui une vision réductionniste de la personne humaine et de l'ordre familial, une conception de la sexualité déliée de l'amour, du mariage et de la famille.
Ainsi que d'autres normes du même acabit, les dispositions de la loi provinciale visent, essentiellement, à la diffusion d'information — par des agents préalablement instruits pour mener à bien cette tâche — et à la distribution de contraceptifs et de préservatifs. La loi énonce quelques desseins louables : protéger la famille, société naturelle antérieure à l'État ; valoriser la maternité ; reconnaître le droit à la santé et à la dignité de la vie humaine (on aurait pu ajouter : depuis l'instant de la conception jusqu'à la mort naturelle) ; réduire la morbidité et la mortalité des mères et des enfants ; garantir aux femmes l'intégralité des soins pendant la grossesse, l'accouchement et la suite des couches. De très bonnes choses, toutes. Mais nous nous demandons comment feront les autorités provinciales pour concrétiser dans le réel ces propos, qui ont tout l'air de n'être que purement rhétoriques lorsqu'on les confronte à d'autres points de la loi, ambigus ou contradictoires par rapport aux dignes intentions proclamées. L'un des objectifs signale : «Prévenir, au moyen de l'information et l'éducation, les avortements» ; et un autre : «Mettre en priorité les soins de santé reproductive des adolescentes». On propose, en outre, d'universaliser l'information, de manière à lui permettre d'atteindre tous les habitants de la Province, en particulier les plus jeunes. Qui se chargera de cette mission ? En quelles mains sera placée l'éducation de nos adolescents sur une matière si essentielle et délicate ? Quelle sera la conception de la personne, de l'amour, de la sexualité, de la famille, qui inspirera la formation promise «d'enseignants, de professionnels et de personnel spécifique en éducation sexuelle» ? On parle «d'aider la famille dans l'éducation des enfants en cette matière» : respectera-t-on véritablement le droit des parents à décider de l'information qu'ils voudront offrir à leurs enfants mineurs ? Il est à craindre qu'il n'en soit rien. Au-delà de la simple suspicion, on peut observer qu'est érigée en principe la satisfaction de l'intérêt supérieur de l'enfant, qui pourrait être invoqué pour contourner ou mépriser l'autorité parentale. L'État se propose également «d'informer sur les âges et les intervalles génésiques considérés les plus adéquats pour la reproduction». Cet euphémisme cache, certainement, la distribution de contraceptifs. Mais l'ingérence de l'État touche également les garçons : on encouragera leur participation aux soins de la grossesse, de l'accouchement et des suites de couches, de la santé reproductive et de la paternité responsable. Encore un euphémisme. En fait, pour engager ce changement culturel de la population masculine, on leur distribuera gratuitement l'accessoire en latex qui a rendu célèbre le nom de son inventeur présumé, l'Anglais Condom. La contradiction la plus importante se trouve dans le dernier objectif indiqué par l'article 2. Il y est affirmé que dans tous les cas, les systèmes fournis seront non-abortifs, mais on précise aussi «approuvés par l'ANMAT». Or, cet organisme d'État chargé de l'approbation des médicaments a autorisé des produits et des instruments abortifs. C'est une affaire qui vient de loin : en 1997 déjà, le Ministère de la Santé et de l'Action Sociale a autorisé la mise en vente d'une combinaison d'hormones stéroïdes synthétiques dont l'effet principal est de produire sur la muqueuse de l'utérus certains changements qui empêchent la nidation d'un embryon récemment conçu, et entraînent ainsi un avortement ultra-précoce.
Il faut reconnaître la valeur de l'alinéa qui se propose d'assurer que le programme ne servira pas à mettre en oeuvre des politiques de contrôle démographique. Peut-être les législateurs n'ont-ils pas remarqué que le vote de cette loi répond déjà à une intention anti-nataliste. On sait avec certitude que ces programmes de santé reproductive sont imposés aux populations sous la pression des organismes liés aux Nations Unies et aux centres financiers internationaux, qui soumettent leur consentement de crédits à l'adoption de mesures contribuant à réduire la population des pays pauvres, ou appauvris comme le nôtre. Il serait important de savoir qui finance l'acquisition massive des contraceptifs et autres éléments à distribuer. Par ailleurs, l'expérience des pays soumis depuis des années à des programmes comme celui qui sera maintenant appliqué à notre peuple, nous autorise à prévoir et à craindre des résultats catastrophiques, exactement contraires aux résultats avantageux que l'on prétendait obtenir : multiplication du nombre d'avortements, propagation des maladies sexuellement transmissibles, progrès dévastateur du fléau du SIDA, accroissement de la promiscuité et ruine du sens moral.
L’aspect totalitaire des mesures adoptées apparaît dans l'omission du droit à l'objection de conscience des professionnels de la santé et de l'éducation, ainsi que dans l'imposition du programme aux instituts éducatifs privés, excès intolérable qui porte atteinte au principe de la liberté d'enseignement.
Le programme provincial de Santé Reproductive et de Paternité Responsable attend maintenant son adoption par les communes. Celle de La Plata a donné l'exemple de la célérité : d'après les publications, elle met déjà à la disposition des consommateurs, pour commencer, un millier de stérilets, sept mille doses de contraceptifs hormonaux et trente mille préservatifs. Le Secrétariat Municipal de la Santé, si peu enclin à faire face à la sous-alimentation de milliers d'enfants, à la transmission croissante du virus Hanta et aux assauts de tant d'autres plaies qui sont le fruit de la misère, s'empresse d'assurer aux habitants du canton les bénéfices gratuits de la nouvelle loi. Une curieuse manière de s'occuper de la santé de la population.
(Article publié par le journal
El Día de La Plata, 19-06-03)

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