Aider les pauvres sans nourrir la Bête

Greg L. Bahnsen


L'Écriture est remplie d'ordonnances gracieuses pour soulager la pauvreté, et aucune d'entre elles n'implique de coercition étatique

Un objectif gracieux à poursuivre

Ceux qui ont la foi en Jésus-Christ comme celui qui sauve éternellement de la culpabilité, de la punition divine, de la corruption et du pouvoir du péché, ont éprouvé la grâce dans son sens le plus véritable et le plus élevé -- la miséricorde de Dieu s'est exercée de manière sacrificielle pour le rachat de son Peuple, qui ne le méritait pas. En langage économique, la richesse de Dieu en grâce a été librement employée pour soulager notre pauvreté spirituelle désespérée. Comme le dit Paul : "Car vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus Christ, qui pour vous s'est fait pauvre, de riche qu'il était, afin que par sa pauvreté vous fussiez enrichis (2 Corinthiens 8:9). Il est évident à partir du contexte dans lequel on trouve ces paroles que Paul y a mis plus qu'une figure de style -- car c'est une discussion sur le don d'une offrande destinée à faire face aux besoins des saints, frappés de pauvreté.

Le comportement gracieux de notre Seigneur Jésus-Christ doit être imité pratiquement par ceux qui espèrent en Lui pour leur salut. Ainsi l'utilisation de nos moyens terrestres (notre richesse) devrait manifester notre expérience de la miséricorde divine en soulageant gracieusement la pauvreté des autres. Cette grâce démontre la sincérité de notre amour :

De même que vous excellez en toutes choses, en foi, en parole, en connaissance, en zèle à tous égards, et dans votre amour pour nous, faites en sorte d'exceller aussi dans cette oeuvre de bienfaisance. Je ne dis pas cela pour donner un ordre, mais pour éprouver, par le zèle des autres, la sincérité de votre charité (2 Corinthiens 8:7-8).

Seulement, parce que c'est la grâce que Paul recommande ici, il insiste pour dire que la charité[ 1 ] doit être une expression d'une amour sincère du coeur, et non pas quelque chose qui soit pratiqué sous une contrainte externe. Ainsi "je ne dis pas cela pour donner un ordre" dit Paul. La charité résulte d'une contrainte interne. Une telle contrainte est nécessairement ressentie par ceux qui ont été transformés par la grâce de Dieu.

Il est inconcevable qu'un pécheur pauvre qui a été enrichi par le salut gracieux de Jésus-Christ ne montre pas de pitié envers le pauvre économiquement. Ce serait un rétrécissement de l'Évangile de la vie éternelle. "Le juste est compatissant, et il donne" (Psaume 37:21). Celui qui se réclame de l'amour de Dieu, mais qui manque de compassion pour l'indigent, n'a pas vraiment éprouvé ce qu'il professe. L'apôtre Jean a écrit :

Si quelqu'un possède les biens du monde, et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeure-t-il en lui ? (1 Jean 3:17)

L'amour plein de grâce de Dieu produit des personnes qui exercent un amour plein de grâce envers les autres. Aucun autre pouvoir dans l'univers ne peut produire un tel coeur. La grâce engendre toujours la grâce, et elle seule peut le faire.

Nous pouvons donc prendre comme point de départ biblique que les Chrétiens devraient ressentir la responsabilité de "travailler à leur salut" (cf. Philippiens 2:12) dans le royaume économique en cherchant à satisfaire les besoins véritables de ceux qui sont frappé de pauvreté[ 2 ] et à soulager leur misère. Nourir ceux qui ont faim parmi les frères en Christ, les vêtir dans le dénuement, et leur rendre visite quand ils sont malades, c'est rendre service au Christ lui-même : "toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous les avez faites" (Matthieu 25:40). Comme les Proverbes le disent, "celui qui a pitié du pauvre prête à l'Éternel, qui lui rendra selon son oeuvre" (Prov. 19:17). La charité exprimée envers l'indigent honore le Créateur du pauvre (Prov. 14:31), car "celui qui se moque du pauvre outrage celui qui l'a fait" (Prov. 17:5). La manière dont nous répondons à celui qui est frappé de pauvreté est alors une indication sur notre relation à Dieu comme Créateur et Rédempteur.

Les Proverbes nous enseignent qu'une femme pieuse "tend la main à l'indigent" (Prov. 31:20), et que "celui qui donne au pauvre n'éprouve pas la disette" (28:27). En effet, "l'homme dont le regard est bienveillant sera béni, parce qu'il donne de son pain au pauvre" (Prov. 22:9). Ainsi, "celui qui méprise son prochain commet un péché, mais heureux celui qui a pitié des misérables!" (Prov. 14:21). D'autre part, l'oppression des pauvres et l'enrichissement à leurs dépens se révèle une tactique coûteuse qui met dans le besoin (Prov. 22:16) et c'est se constituer ennemi de Dieu (Prov. 22:22-23). De même, négliger la situation difficile des pauvres rend nos propres prières inefficaces : "celui qui ferme son oreille au cri du pauvre criera lui-même et n'aura point de réponse" (Prov. 21:13).

Les moyens bibliques à cette fin

La parole de Dieu ne nous dirige pas seulement vers l'objectif plein de grâce vers lequel tous nous devrions concourir (à savoir de soulager les besoins des pauvres), mais elle a aussi beaucoup à dire sur les moyens par lesquels le Chrétien accomplit avec grâce cet objectif. Après tout, la fin ne justifie pas les moyens aux yeux de Dieu. On peut imaginer de piller des banques pour donner de l'argent aux nécessiteux pour aider les pauvres, mais ce moyen encourt la colère et la malédiction de Dieu !

Comment alors la parole de Dieu nous instruit-elle sur la manière de montrer de l'intérêt pour le pauvre et indigent ?[ 3 ] Tout d'abord, en ne nous cachant pas leurs besoins -- s'isoler de sorte que nous n'entendions pas le cris des pauvres. La Bible condamne le fait de "fermer son oreille" et de "fermer les yeux" (Prov. 21:13 ; 28:27), qui sont des manières simples de rester insensible aux situations difficiles des moins fortunés que nous côtoyons. "Le juste connaît la cause des pauvres" (Prov. 29:7). En effet, quand il donne un dîner, il est mis en relation avec des pauvres et peut les inviter, eux qui ne peuvent pas le récompenser en retour (Luc 14:12-14).

En second lieu, bien évidemment, nous sommes invités à exercer une pitié amicale envers les pauvres (cf. Prov. 14:21) en donnant généreusement pour soulager leurs besoins spécifiques -- en faisant les dons directs pour acheter de quoi manger ou des vêtements, pour payez des factures, pour payer un traitement médical, etc. (Matthieu 25:35-39 ; Luc 14:12-14). "Le juste donne sans parcimonie" (Prov. 21:26 ; Cf. 22:9).

Troisièmement, la loi de Dieu protège et prévoit des dispositions sociales favorables pour le pauvre et l'indigent, comme l'interdiction de saisir comme garantie certaines choses indispensables à la vie (Exode 22:26-27 ; Deutéronome 24:13-22) ou de faire payer un intérêt sur les prêts qu'on leur fait (Exode 22:25 ; Lévitique 25:35-37 ; Deutéronome 15:7-11 ; 23:19-20). Il arrive parfois qu'une personne ne peut pas se permettre une donation à un frère dans le besoin, mais qu'elle peut lui prêter une certaine somme d'argent pendant un certain temps. C'est une vertu chrétienne que de ne pas se détourner de ceux qui nous emprunteraient de l'argent (Matthieu 5:42), tout en n'en attendant pas de bénéfice (Luc 6:35). Dans un tel cas, il serait immoral de profiter de la détresse de notre frère : le prêt peut ne porter d'intérêts. Dieu lui-même payera en retour cette bonne action (Prov. 19:17), alors que la violation de ce commandement de Dieu vous amènera à perdre votre gain financier au profit de quelqu'un d'autre de plus gracieux (Prov. 28:8).

Quatrièmement, la loi de Dieu prévoit également une disposition sociale favorable envers les pauvres en exigeant de nous d'autoriser le glanage (Lévitique 19:9-10 ; 23:22 ; Deutéronome 24:19-20). Les restes dans nos champs, les fruits qui tombent au sol et les coins de terrains qui ne sont pas récoltées doivent être rendus disponible à ceux qui sont dans le besoin. Les pauvres peuvent ainsi travailler pour subvenir aux besoins de leurs familles avec ce qu'ils peuvent emporter (ce qui pose des limites et des contraintes naturelles à la portée de cette disposition). L'application de cette exigence divine en dehors du domaine agricole n'est pas inconcevable (par exemple par des dons de vêtements encore utilisables, de meubles, d'appareils, de monnaie du marché ou du restaurant, etc.)

Cinquièmement, la parole de Dieu nous donne la sagesse de voir qu'il est inadéquat et digne de désapprobation que quelqu'un profite de son avantage sur le marché libre pour gonfler les prix sur des articles de première nécessité. "Celui qui retient le blé est maudit du peuple, mais la bénédiction est sur la tête de celui qui le vend" (Prov. 11:26).Sera ainsi maudite l'avarice qui priverait le marché d'un produit vital, par une pénurie organisée dans le but de désespérer les gens pour augmenter le bénéfice sur la vente plus tard.

Sixièmement, les Écritures exigent de nous que nous protégions les droits de propriété de ceux qui, dans la société, n'ont pratiquement aucune voix, qui sont les plus faciles à exploiter, et qui n'ont pas de poids politique -- des gens comme les veuves et les orphelins (Deutéronome 10:18 ; Psaume 68:5 ; Prov. 15:25 ; 22:28 ; 23:10-11). Déplacer les bornes de leurs terrains ou diminuer par d'autres moyens l'utilisation et la valeur de leur propriété et possessions -- que ce soit par la législation, des contrats trompeurs ou des manipulations judiciaires -- provoque la vengeance de leur Rédempteur, selon la Bible, et nous devrions aussi intervenir pour les défendre. C'est particulièrement nécessaire dans une culture où il est devenu si coûteux (et tordu) de résoudre les conflits devant un tribunal civil et de préserver ses droits.

Septièmement, les Chrétiens qui plaident en faveur des droits de l'indigent dans les procès, et ceux à qui est confiée l'autorité juridique, comme les juges de nos tribunaux, sont particulièrement enjoints par Dieu de soulager la facile oppression sociale de l'indigent et de se garder d'avoir un préjugé juridique envers lui. Dieu prévoit que les rois "délivrent le pauvre et l'indigent" (Psaumes 72:2-4, 12-14) -- ce qui signifie, selon le texte biblique lui-même, qu'ils doivent "briser leurs oppresseurs" en établissant l'équité dans les tribunaux et en les protégeant des "pots de vins" des "fraudes" et de la "violence" (Lévitique 19:15 ; Ex. 23:3, 6 ; Ps. 82:1-4 ; Amos 5:11-12 ; cf. Prov. 22:22-23 ; 29:14).

Huitièmement, une autre manière de nuire à ceux qui sont dans le besoin est pour des employeurs riches de les exploiter en retardant ou en retenant les salaires de leurs employés (Lévitique 19:13 ; Jacques 5:1-6). Dans ces cas, le Chrétien doit venir à la défense du travailleur et demander le respect des engagements qu'on a faits envers lui, de peur que sa condition économique ne soit encore détériorée. De même, les Chrétiens doivent prendre position pour protéger la liberté des pauvres sur le marché, de sorte qu'ils puissent avoir une opportunité de travailler (par exemple, contre les ateliers réservés aux travailleurs syndiqués, etc. ; cf. Matthieu 20:1-16) et pour entrer dans la concurrence à un prix qui les rende plus susceptibles d'être embauchés (par exemple, contre les exigences de salaire minimum imposées par l'état, etc. ; cf. Apo. 13:17). Priver les gens de la liberté d'être concurrentiels sur le marché et de jouir ainsi de l'ascenseur social viole l'amour que nous devons avoir pour notre prochain et transgresse la règle d'or.

Neuvièmement, les familles chrétiennes doivent être attentives à faire le nécessaire pour satisfaire aux besoins économiques de leurs membres (1 Timothée 5:8), en particulier ceux qui vivent des moments difficiles. Cela exige non seulement de la diligence et de l'attention dans la gestion des dépenses ordinaires (par exemple, Prov. 6:6-11 ; 10:4 ; 19:15 ; 20:4 ; 23:21 ; 24:30-34), mais également de la prévoyance et de la frugalité pour pouvoir faire face à des besoins d'urgence imprévisibles (cf. par exemple, Lévitique 25:25, 49). De même, comme extension de cette disposition d'amour, les familles peuvent montrer de la bienveillance envers d'autres croyants qui ont des dettes et sont devenus insolvables en permettant au frère pauvre de se "vendre" volontairement (en fait de vendre son travail) à leur service, tout en étant traité et soigné comme un membre de la famille. Ses dettes seraient payées (Lévitique 25:39), il apprendraient le travail responsable et comment économiser de l'argent (peut-être assez pour acheter son propre affranchissement : Lévitique 25:49), et en son temps il lui serait donné des libéralités pour commencer une nouvelle vie (Deutéronome 15:14).

Dixièmement et d'une manière tout-à-fait primordiale, la congrégation Chrétienne devrait en tant que telle exercer un ministère pour les besoins des pauvres. Le rôle du diacre a été spécifiquement ordonné comme ministère de miséricorde envers l'indigent, par exemple pour l'aide quotidienne aux veuves (Actes 6:1-6). Les dîmes et les offrandes que Dieu réclame doivent régulièrement être utilisés pour le soulagement des pauvres (Deutéronome 14:28-29).[ 4 ] Et des offrandes spéciales doivent être collectées par l'église pour prendre soin des Chrétiens souffrant de difficultés ou d'urgences spéciales (par exemple, 1 Corinthiens 16:1-2 ; Romains 15:25-27 ; 2 Corinthiens 8). L'agence charitable de l'église est l'un des moyens les plus durables, puissants et efficaces pour distribuer de l'aide financière à des gens dans le besoin. Une telle distribution de la charité est motivée par des sacrifices et des offrandes volontaires faits par le peuple de Dieu, conformément à ce que Dieu prévoit. Ses ressources doivent être constituées d'une base de 10% des revenus de tous parmi le peuple de Dieu, grands ou petits -- encore augmenté des offrandes volontaires de croyants reconnaissants qui ont été bénis suffisamment pour satisfaire à leurs propres besoins. La supervision et l'administration sont locales, responsables envers la congrégation, et donc beaucoup moins vulnérables au détournement, à la fraude et aux dépenses d'une lourde bureaucratie centrale.

Cet échantillon très rapide de l'enseignement biblique, démontre que la parole de Dieu a beaucoup à nous dire, pas simplement sur l'objectif d'aider les pauvres et les indigents, mais également sur les moyens spécifiques que Dieu a approuvés et commandés pour accomplir cette tâche. La Bible nous exhorte à poursuivre l'objectif gracieux de soulager celui qui est frappé de pauvreté. Elle révèle aussi des moyens gracieux variés pour le réaliser. Certaines suggestions récentes ont été faites par quelques Chrétiens évangéliques qui compléteraient les moyens mentionnés ci-dessus, et par lesquels les croyants devraient soutenir les pauvres, et notre tâche est maintenant d'évaluer ces moyens supplémentaires quant à leurs qualifications bibliques (ou leur manque dequalifications bibliques). La fin ne justifie pas n'importe quel moyen aux yeux de Dieu, comme nous l'avons dit précédemment. Il est important que nous fassions le travail de Dieu avec les moyens prévus par Dieu.

La trahison de la Grâce

C'est faire honneur au Dr. Ronald Sider que de dire que son livre, Des Chrétiens riches dans un âge de famine,[ 5 ] a attiré l'attention d'une grande partie du monde chrétien évangélique. Il écrit avec conviction et compassion -- une compassion pour soulager les pauvres et les affamés de ce monde dont on pourrait seulement souhaiter qu'elle soit partagée par plus de gens, et particulièrement par des Chrétiens financièrement plus à l'aise. Concernant ce qui a été dit ci-dessus, ceux qui définissent leur perspective chrétienne et leur éthique d'après les Écritures ne devraient avoir aucune difficulté à approuver le but déterminé par le Dr. Sider : à savoir mobiliser les Chrétiens pour satisfaire aux besoins véritables des pauvres. Notre évaluation des moyens préconisés par le Dr. Sider, cependant, ne peut pas être aussi positive. Je crois qu'une lecture correcte de l'Écriture ne justifie pas, mais contredit plutôt nombre des propositions du Dr. Sider.

Ce n'est pas ici le lieu pour engager une analyse factuelle de l'approche du Dr. Sider quant à l'aide aux affamés du monde, bien qu'une critique significative puisse être entreprise ici.[ 6 ]Notre but est plutôt de donner une évaluation normative et biblique de son approche, particulièrement dans sa préconisation de l'intervention et de l'action coercitive de l'état pour améliorer les circonstances économiques extérieures des pauvres. Une telle recommandation est en contradiction avec l'enseignement de la Parole de Dieu. C'est évident tout d'abord, et dans le sens le plus large, parce qu'il abandonne le caractère gracieux de la charité chrétienne.

Comme nous pouvons le voir à partir de la liste précédente de moyens pour aider les pauvres, il y a quelques dispositions qui sont une question de justice -- c'est-à-dire, protèger les droits civiques légitimes contre ceux qui oppriment les pauvres en tirant profit d'eux (par exemple, par la fraude dans le marché, par la partialité des tribunaux). Mais d'autres dispositions sont d'un caractère tout à fait différent, car ils ont à voir avec la grâce (ou la charité) qui procède du coeur et nous mène volontairement à nourrir les pauvres, à leur prêter, à collecter des offrandes, etc...

Quand quelqu'un possède un droit, il peut réclamer justice en faisant une demande à d'autres ; s'il a un droit (par exemple à la liberté de culte), alors les autres ont un devoir correspondant (ici, de supporter la liturgie de son choix) -- et l'état peut imposer des sanctions punitives pour ma violation de ce devoir. C'est cela la "justice." Maintenant évidemment la portée de notre engagement moral devant Dieu excède la portée des devoirs que l'ordre civil que l'état peut imposer. Dieu peut exiger de moi de ne pas rembarrer un voisin grognon (et considérera ceci lors du jugement dernier), mais cela ne transforme pas l'aspect sympathique ou non d'une salutation en une question de justice -- comme s'il s'agissait du droit de mon voisin, et que l'état puisse me punir pour avoir contrevenu à la "justice" ! On devrait plutôt dire qu'en rembarrant le voisin grognon, je n'ai pas été "gracieux" envers lui (et que je ne l'ai pas traité comme Dieu m'a traité). La vertu dont je manque ne viendra que par le travail interne et sanctifiant de Dieu ; elle ne sera pas produite par la contrainte ou les menaces de l'état. L'état est une agence de justice, pas de grâce.[ 7 ]

La justice et la grâce (ou la charité) devraient également être distinguées quand nous pensons à Dieu lui-même. Le concept théologique du caractère essentiel de Dieu est logiquement différent de celui des buts éternels de Dieu. Ce dernier concept dénote son bon plaisir qui est ni contraint ni soumis à la nécessité (et qui, donc, pourrait avoir été différent) -- comme son choix d'envoyer Son Fils dans ce monde mourir par grâce pour des pécheurs. Le premier concept dénote ce qui est toujours et nécessairement vrai de Dieu -- comme son horreur du vol. L'interdiction du vol provient du caractère invariable de Dieu ; la question de savoir si Dieu pourrait choisir de condamner ou plutôt d'approuver le vol n'est pas une question ouverte. D'autre part, le don d'un sacrifice salvateur ou de la régénération à un pécheur provient du but éternel de Dieu ; la nécessité n'a pas forcé ce choix (et ne le pourrait pas), mais Dieu l'a choisi par grâce pour son bon plaisir. Il est crucial que les Chrétiens évangéliques fassent une distinction entre ces deux concepts de justice et de grâce, de peur que la nature-même du message de l'Évangile soit obscurcie. [ 8 ]

Malheureusement le Dr. Sider n'a pas pris soin de tout ceci. Il préconise ce qu'il appelle du "changement structurel" dans lequel l'état rendrait obligatoires et imposerait certaines dispositions destinées à aider les pauvres (comme le revenu minimum et les prix garantis, les préférences commerciales, la réglementation des produits, la redistribution des terrains, l'aide économique à l'Étranger, etc.).[ 9 ] Sur ces changements il écrit : "Yahweh veut les structures institutionalisées (plutôt que la seule charité) qui réduise systématiquement et régulièrement l'écart entre riches et pauvres." Il est direct en indiquant que "ce qui est nécessaire c'est un changement de politique publique" -- appelant de ce fait "le gouvernement à légiférer." Sa thèse est énoncée de façon tranchante : "les textes nous avons examinés montrent clairement que Dieu veut la justice, et pas seulement la charité."[ 10 ] Le Dr. Sider fait pression pour plus que la charité ou la grâce. Il insiste lourdement en prétendant que certaines politiques sociales de préférence envers les pauvres seraient une question de justice -- qui devraient avoir force de loi et que l'état imposerait avec son redoutable pouvoir de punir. Notez l'insistance sur le mot "justice" dans ce passage :

Dieu veut la prospérité avec la justice. Mais cela ne signifie pas que les gens riches qui préparent des paniers de Noël font des dons pour soulager les malheureux aient répondu aux exigences de Dieu. Dieu veut la justice pour les pauvres. Et la justice, comme nous l'avons vu, signifie des choses comme le Jubilé et la remise sabbatique des dettes. Cela signifie des structures économiques qui contrôlent l'apparition de la richesse extrême et de la pauvreté extrême. Cela signifie le partage économique massif parmi le peuple de Dieu. La prospérité sans ce genre de souci biblique pour la justice signifie clairement la désobéissance.[ 11 ] Dans le sens le plus large, donc, notre objection aux moyens proposés par le Dr. Sider pour aider les pauvres est qu'ils abandonnent le caractère gracieux de la charité chrétienne. En invitant l'état à imposer certaines dispositions économiques, et donc en contraignant les gens à marquer une préférence pour les pauvres, le Dr. Sider ne parle plus de l'amour qui est pratiqué du coeur de façon sacrificielle. Il essaye de transformer la grâce en justice, les tordant ainsi toutes les deux.

L'Écriture tordue

Mais au delà de tout ceci, la "justice" que Dr. Sider propose est fondamentalement en désaccord avec le concept biblique de justice. Il approuve ouvertement des politiques économiques imposées par l'état qui montreraient la préférence envers les pauvres (et les nations pauvres). Cependant Dieu désapprouve l'acception de personne dans un jugement (Prov. 24:23 ; 28:21). Selon Sa volonté, la justice doit être aveugle -- elle n'est pas censée tenir compte du statut racial, social, ou économique de la personne. Un citoyen privé peut choisir d'exercer une discrimination en offrant une aide charitable à une personne plutôt qu'à une autres, mais il est interdit à l'état de faire des distinctions ou de manifester du favoritisme. En effet, la parole de Dieu interdit explicitement l'application d'une préférence envers le riche comme envers le pauvre : "Tu ne favoriseras point le pauvre dans son procès" (Exode 23:3). La vue normative de Dieu sur la justice exclut que l'on considère comme "justice" les polices préférentielles préconisées par le Dr. Sider. Ainsi dit le Seigneur : "Tu ne commettras point d'iniquité dans tes jugements: tu n'auras point égard à la personne du pauvre, et tu ne favoriseras point la personne du grand, mais tu jugeras ton prochain selon la justice." (Lévitique 19:15).

La seule manière convaincante d'échapper à la réfutation ci-dessus serait d'argumenter que Dieu lui-même, celui qui détermine les exigences de la vraie justice, aurait révélé dans sa parole que ces sortes de politiques économiques préférentielles préconisées par Dr. Sider doivent être imposés par l'état. Si la parole de Dieu enseigne (ou implique par une conséquence bonne et nécessaire) que les préférences douanières, le revenu minimum, l'aide étrangère, etc. font partie du devoir légitime du magistrat civil, alors de telles choses deviendraient un droit exigible par les pauvres (et feraient partie de la conception qu'a Dieu de la justice civile), au lieu d'être une violation préférentielle de l'impartialité exigée par ailleurs par la justice de Dieu. Le Dr. Sider a-t-il démontré par l'exégèse que ses propositions jouissent de l'approbation divine ?

Le Dr. Sider et l'auteur de cet essai ont les mêmes pré-supposition fondamentales au sujet de l'autorité de la Bible dans le domaine de l'économie :

Selon la foi biblique, l'Éternel est Seigneur de toutes les choses. Il est le Seigneur souverain de l'histoire. L'économie n'est pas une sphère neutre, séculaire indépendante de sa Seigneurie. L'activité économique, comme tout autre domaine de la vie, doit être sujette à sa volonté et à sa révélation.[12 ]

Nous sommes d'accord sur le fait que l'Écriture est notre norme éthique pour l'économie, et même que la Bible entière doit être prise en considération pour déterminer quelle est la volonté de Dieu sur une question. Le Dr. Sider observe :

Dieu a donné la loi à Israël de sorte que son peuple sache vivre ensemble dans la paix et la justice. L'église est maintenant le nouveau peuple de Dieu... Certainement, comme Paul et d'autres auteurs de Nouveau Testament l'indiquent, des parties de la loi Mosaïque (les lois cérémonielles, par exemple) ne s'appliquent plus à l'église. Mais il n'y a aucune indication qui dirait que la loi morale cesserait d'être normative pour les Chrétiens (Matt. 5:17-20 ; Rom. 8:4). La révélation de l'Ancien Testament au sujet du genre de rapports économiques qui favorisent l'amour et l'harmonie parmi le peuple de Dieu devrait encore servir de guide à l'église aujourd'hui.[ 13 ]

Et il continue en disant à propos de la loi de l'Ancien Testament : "Ce sont les principes de base, pas les détails spécifiques, qui sont importants et normatifs pour les Chrétiens aujourd'hui." [ 14 ] De plus, le fait que les auteurs bibliques n'ont pas hésité à appliquer ces normes révélées aux sociétés étrangères au peuple de Dieu soutient la conclusion selon laquelle nous devrions les appliquer aussi à notre société aujourd'hui. "Suivre des principes bibliques sur la justice dans la société est la seule manière d'avoir une paix durable et à une harmonie sociale pour toutes les sociétés humaines."[ 15 ] En un mot, le Dr. Sider a récapitulé ma propre compréhension fondamentale de la normativité de la loi de Dieu pour la société contemporaine.[ 16 ]

Cependant, dans le cadre de ces convictions sur la normativité de la Parole de Dieu dans l'économie, le Dr. Sider ne va pas jusqu'à démontrer de façon convaincante par l'exégèse ce qu'il propose, c'est à dire que l'Écriture soutiendrait des politiques préférentielles de l'état envers les pauvres. Comment tente-t-il de faire dire à la Bible qu'elle approuverait des choses comme les taxes douanières, la réglementation des produits, la redistribution forcée des terrains, le revenu minimum, l'aide étrangère, etc. ? En faisant appel aux dispositions du "Jubilé" de l'Ancien Testament (Lévitique 25).[ 17 ] Le raisonnement qu'il utilise est pour le moins exagéré.

Premièrement, les dispositions pour le Jubilé n'étaient pas une question de justice imposée par l'état, mais plutôt l'obligation morale d'un peuple qui avait joui de la grâce salvatrice de Dieu. C'est-à-dire que le Jubilé était une image de "l'Évangile" (Esaïe 61:1 ; Luc 4:18). Il montrait la grâce, pas la justice. Il n'y a aucune mention de sanctions pénales infligées par le magistrat civil en cas de violation du Jubilé (bien que Dieu soit clairement intervenu pour juger Son peuple quand il l'a négligé disgracieusement : Cf. 1 Corinthiens 11:17-32).

Deuxièmement, les dispositions pour le Jubilé ne faisaient pas partie de cette justice universelle (ou droiture) qui est connue par la révélation générale comme obligation pour toute l'humanité.[ 18 ] C'était seulement en "terre sainte" d'Israël que Dieu a alloué des parcelles de terrain inaliénable à des familles, puis exigeait que toutes les parcelles de terrain que les Israélites appauvris auraient vendues (ce qui est plus apparenté à une location) retournent à la famille lors de la cinquantième année. C'était une disposition unique pour le peuple spécial de Dieu (c'est donc à classer dans la catégorie des lois cérémonielles), disposition fondée sur l'allocation directe par Dieu de cette terre (Lévitique 25:2) et Son travail d'expiation gracieux (vv. 9-10), qui rendait de ce fait Israël "saint" ou mis à part des autres nations (v. 12).

Troisièmement, le Dr. Sider a interprété le jubilé comme un "modèle" de redistribution économique générale destiné à "égaliser la richesse" et "éviter la richesse et la pauvreté extrêmes."[ 19 ] Le texte réel de Lévitique 25 ne soutient pas une telle généralisation, ni une telle interprétation de l'intention divine. Les conditions du Jubilé protégeaient uniquement les Israélites agriculteurs (pas ceux des villes) contre la perte définitive de leur terre ; elle ne prévoyait pas qu'ils partagent les bénéfices ou les capitaux des autres. En effet, pendant la période où une famille ne disposait plus de sa terre, elle n'en recevait aucun absolument revenu -- et elle ne partageait même pas le revenu du propriétaire temporaire (bailleur). Si redistribution économique il y a, elle doit figurer dans le texte.

Quatrièmement, la méthode de raisonnement du Dr. Sider est exagérée, même s'il y avait une interprétation redistributive du texte du Jubilé. Comment appliquons-nous "les principes fondamentaux" des lois de l'Ancien Testament ? Un bon exemple est trouvé dans l'exigence qu'une balustrade soit placée autour du toit plat de la maison de l'Israélite (Deutéronome 22:8) sur lequel des visiteurs peuvent se promener. Nous apprenons à travers cela le principe moral général que nous devrions mettre en oeuvre des précautions de sécurité pour protéger la vie humaine, et nous pourrions promptement appliquer ce principe en exigeant des barrières autour des piscines privées. Il n'est pas difficile de voir ici la connexion. La méthode du Dr. Sider, cependant, rend douteuse n'importe quelle connexion spécifique entre ses propositions économiques préférentielles et les dispositions du Jubilé, et il le fait en généralisant à l'excès l'intention du texte. Il part de la disposition spécifique visant à rétablir des terres de famille vers une notion hautement abstraite et non définie de "redistribution" économique, et ensuite il applique cette notion abstraite à toutes sortes de redistributions imaginables -- par exemple, mettre en commun et diviser également tous nos capitaux, des politiques institutionnelles telles que le revenu minimum, la réglementation des produits, l'aide étrangère, etc... Il faut une très grande imagination pour tirer tout cela du texte biblique. On pourrait appliquer de manière aussi créative la législation sur les balustrades de toit à la modernité, au travers d'un principe de précaution complètement abstrait, en faisant une loi obligeant tout le monde à porter un scaphandre au cas où il tomberait dans une piscine privée !

Si les dispositions du Jubilé justifient un ou plusieurs schéma de redistribution économique, alors elles justifient aussi de voler les banques et de partager le butin parmi les pauvres. J'utilise ce raisonnement par l'absurde pour démontrer l'absence d'un quelconque contrôle herméneutique raisonnable dans l'utilisation que fait le Dr. Sider du texte biblique pour bâtir ses jugements économiques pour le monde moderne. A l'évidence, l'utilisation que nous faisons des principes fondamentaux de la loi de Dieu ne devrait pas nous mettre en conflit avec l'enseignement clair de la parole de Dieu par ailleurs. Et c'est justement là que les propositions économiques du Dr. Sider pour aider les pauvres sont mise dans la plus grande difficulté. En préconisant de donner certaines politiques économiques préférentielles force de loi, imposées par le magistrat civil, il se met en désaccord avec la vision biblique de l'état et de ses propres limites.

Le Dr. Sider a correctement déclaré que le droit de propriété privée qui est garanti dans la parole de Dieu n'est pas absolu, mais qu'il est sujet à qualification.[ 20 ] Nous sommes d'accord là-dessus, mais en ajoutant que seul Dieu a le droit d'abréger le droit de propriété privée en lui imposant des qualifications par Sa parole révélée -- pas par des spéculations humaines ou par l'application de principes abstraits. D'ailleurs, ces qualifications ou limites au droit de propriété privée peuvent être imposées par le pouvoir punitif de l'état seulement là où Dieu l'y autorise. En ne démontrant pas quelle serait autorisation divine qui permettrait des dérogations au droit de propriété privée, imposées par l'état, et les politiques économiques préférentielles qu'il propose, le Dr. Sider a poussé le monde évangélique à alimenter "la Bête."

La malencontreuse libération du Leviathan

Nous prenons comme point de départ biblique que tous les magistrats civils sont aujourd'hui sous l'obligation morale d'être guidés et régulés par la loi de Dieu (dans toute la Bible), où et quand elle parle de sujets politiques. La spécification et la qualification de la fin de cette phrase sont cruciales, sinon nous sommes privés de tout principe réglementaire objectif pour limiter l'autorité de l'état. Sans une vision claire des fonctions et des limites de l'état, le Chrétien ne peut pas développer une position conforme à la Bible concernant les droits, l'égalité, la liberté, la loyauté, la dissidence, ou l'équilibre approprié entre la sécurité et la vie privée (l'ordre et la liberté) dans l'état. Si nous ne pouvons pas déterminer les limites de l'autorité de l'état, nous n'aurons alors aucune défense logique et intelligente contre la croissance pathologique de l'état en un "Leviathan" comme le nomme Thomas Hobbes -- qui utilise une allusion à la bête de la mer (cf. Apocalypse 13:1).

Dans le contexte des fonctions et des responsabilités morales publiques, nous devons noter un domaine délimité où l'état a autorité pour imposer des sanctions civiles aux mauvais comportements. Tous les péchés contre la loi de Dieu ne doivent pas, avec raison, être traités comme des crimes, et donc, nous devons circonscrire l'autorité de l'état en matière pénale envers ses citoyens et le faire d'une manière ouverte à un examen minutieux du public. Si la sphère du péché (même le péché public ou interpersonnel) était mis sur un pied d'égalité avec la sphère de la prérogative légale de l'état en matière pénale, l'état serait placée dans la position de Dieu lui-même, ce qui lui donnerait libre cours pour agir (par contraste) comme une bête. Dieu n'a pas autorisé l'état à contrôler et a juger chaque méfait social, ni ne lui a accordé la responsabilité de produire chaque vertu sociale. L'État n'est ni compétent ni autorisé à juger des convoitises privées du coeur d'un individu ni même de son utilisation égoïste de l'argent à la lumière d'un besoin de son prochain.

Selon Paul, la caractéristique spéciale qui différencie l'état des autres institutions dans la société est son autorité morale (et pas simplement le pouvoir brut) pour infliger des pénalités publiques en cas de désobéissance aux lois civiles. C'est une institution caractérisée par l'autorité coercitive -- "portant l'épée" en tant que "terreur" et "serviteur de Dieu pour exercer la vengeance" envers les malfaiteurs (Rom. 13:4), et c'est une prérogative refusée à la famille (Deutéronome 21:18-21) et à l'église (2 Corinthiens 10:3-4). Parce que l'état possède cette prérogative impressionnante de l'utilisation de la contrainte pour imposer ses préceptes (que ce soit par menace de mort, d'amende financière, ou d'emprisonnement), l'état doit être limité soigneusement et moralement dans sa propre juridiction. Si l'état manquait de la garantie morale pour appliquer une sanction civile à quelqu'un qui a violé une loi publique, son action punitive ne serait pas différente du meurtre (appelé "punition capitale"), de l'enlèvement (appelé "emprisonnement"), ou du vol (appelé "amende"). Par conséquent, il doit y avoir les limites objectives à la coercition légale -- une loi au-dessus de la loi civile à laquelle on peut faire appel pour se garantir contre l'empiétement sur la vie, la liberté, ou la propriété d'une personne, aussi bien qu'un appel interjeté contre l'injustice et l'oppression. Ce critère objectif est la loi révélée de Dieu car elle prescrit des pénalités civiles pour des méfaits. La loi de Dieu nous permet de distinguer de manière consistante et selon des principes là où l'état peut légiférer à juste titre et là où il ne peut pas interférer.

Les Évangeliques s'écartent parfois de ce critère de révélation objective et absolue au profit de règles conçue par des hommes, ce qui produit des résultats relativistes. Par exemple, David Basinger[21] trouve que la loi de Dieu n'est pas acceptable en tant que norme pour déterminer ce que l'état peut ou non imposer : son argument est plutôt superficiel car il consiste en ce qu'il y a un désaccord entre Chrétiens sincères sur l'interprétation de ce que la Bible définit comme crimes punissables. (Pourtant quand des écoliers sont en désaccord sur la résolution de leurs exercices de maths, on ne considère généralement pas que la solution soit de se débarrasser des règles mathématiques.) Basinger suggère de prendre comme norme politique les valeurs que tous les hommes, croyants et incroyants, proposent en commun. Mais ce critère est victime de son propre argument : que le pouvoir politique doive être limité par les valeurs acceptés par tous n'est certainement pas "une valeur commune" aux hommes ! Tant qu'on inclura Attila le Hun, le marquis de Sade, Idi Amin Dada et Hitler parmi les électeurs, il n'y aura pas de valeurs communes qui puissent faire l'objet d'un consensus de norme d'éthique politique.

Le Dr. Sider essaye d'esquiver ce dilemme -- et l'idée de prendre la loi de Dieu comme norme politique -- en suggérant à la place qu'il faudrait utiliser le principe libertarien pour distinguer les péchés sociaux (à traiter seulement par l'église) et les crimes à punir (aussi par l'état) : "les personnes devraient être libres de se nuire à elles-mêmes et au personnes consentantes... aussi longtemps qu'ils ne nuisent pas au autres ni ne violent leur droits."[22 ] Un tel principe est non seulement ambigu, arbitraire, et appliqué de manière inconsistante, [23] mais en plus, il ne provient tout simplement pas de l'exégèse du texte de la Bible. C'est une erreur fatale pour une prétendue position chrétienne. Sans surprise, cela mène le Dr. Sider à une inversion complète de l'enseignement explicite de la loi de Dieu : il s'applique ainsi à l'état ce qui n'est approprié que pour l'église (par exemple, la pénalisation de la discrimination raciale dans une affaire de propriété privée), et il limiterait à l'église ce que la loi Dieu exige en fait de l'état (par exemple, la pénalisation de l'adultère et de l'homosexualité) !

On doit remarquer que les éthiciens évangéliques, aussi bien ceux qui sont politiquement conservateurs que ceux qui sont politiquement libéraux, ont transgressé le principe selon lequel la loi de Dieu détermine les limites de l'autorité de l'état. Ceux qui ont des penchants conservateurs ont eu tendance à favoriser des buts moralement louables (la sobriété en ce qui concerne les boissons alcoolisées, la restriction du tabagisme, les interventions pour contrer la diffusion géopolitique du communisme) par des moyens moins qu'éthiques, en invitant l'état à exercer son pouvoir de contrainte là où aucune garantie biblique ne peut être apportée de manière indiscutable. De même, ceux qui ont des penchants politiques libéraux ont eu tendance à favoriser des buts moralement louables (l'intégration raciale, la nourriture ou les soins médicaux pour les pauvres, l'instruction publique) par des moyens moins qu'éthiques, en invitant l'état à exercer son pouvoir de contrainte là où aucune garantie biblique ne peut être apportée de manière indiscutable. Quelle que soit l'excellence morale de ces divers projets, essayer d'obtenir des autorités civiles de les imposer sans la garantie de la parole de Dieu revient à capituler vers la position arbiraire de Thrasymaque, qui enseignait que la "justice" c'est simplement ce qui se trouve être dans l'intérêt de la faction plus forte de la société. Le côté ironique de la chose, c'est que lorsque le bras armé de l'état est courtisé au nom "de la justice publique," telle que définie par l'opinion personnelle de certains Évangéliques (qu'ils soient conservateurs ou libéraux), c'est en réalité au prix de la privation de justice pour d'autres -- par la privation leurs droits véritables (par exemple, celui de choisir pour quelles causes servir, par sa vie ou son argent), comme nous le révèle le juste Juge de toute la terre (cf. Genèse 18:25 ; Deutéronome 2:4).

Un état qui étend son autorité dans le but de favoriser ou d'imposer des objectifs conformes à ses souhaits, même s'ils sont par ailleurs louables (par exemple, l'harmonie sexuelle entre maris et femmes, des plans d'épargne financière prudents, le brossage régulier des dents), est un état qui abuse de son pouvoir -- car, après tout, ce pouvoir lui a été délégué par Dieu (Romains 13:1 ; Jean 19:11). Mais très clairement, Dieu interdit explicitement aux rois de s'écarter à droite ou à gauche du chemin bien défini de Sa loi (Deutéronome 17:18-20). En effet, les paroles mémorables de notre Seigneur dans Matthieu 22:21 enseignent indéniablement qu'il doit y avoir une limite définie aux "choses qui appartiennent à César." Quand César exige de ses sujets plus que ce qui est sien -- plus que ce qui lui est "dû" (Romains 13:7), le gouvernement de César agit alors inévitablement comme un "trône de méchanceté... qui forme des desseins iniques en dépit de la loi" (Psaume 94:20). Le fait que le magistrat civil légifère sur quelque chose ne lui confère pas ipso facto l'appobation de Dieu. Quand le magistrat civil (le "ministre" de Dieu) dépasse les limites du pouvoir délégué en imposant les lois qui ne sont pas autorisées par Dieu, il tombe sous la colère et la malédiction de Dieu : "Malheur à ceux qui prononcent des ordonnances iniques" (Ésaïe 10:1). L'état a pour domaine approprié et comme vocation divine la justice civile, la protection de ses citoyens contre la violence -- qu'elle soit sous forme d'agression étrangère, d'assaut criminel, ou de fraude économique. Afin que les hommes puissent vivre ensemble dans la tranquilité et la paix (I Timothée 2:2), l'état a été muni de "l'épée", laquelle est destinée à un but spécifique (notez la construction de la phrase en 1 Pierre 2:14 qui indique le but et le commandement divins), celui d'«exercer la vengeance» contre ceux qui font le mal (Romains 13:4). "C'est aussi pour cela," dit Dieu, que des impôts peut être légitimement collectés (v. 6). Mais le magistrat ne peut pas aller au delà. Il doit affermir le pays par la justice, qui doit être fermement respectée par les tribunaux (Prov. 29:4 ; Amos 5:15). La parole de Dieu, cependant, n'autorise pas le gouverneur civil à exercer le rôle d'un agent de bienveillance charitable, de providence financière, d'éducation ni de miséricorde. L'Écriture ne suggère en rien les régimes d'assistance sociale imposés par l'état ni l'interventionnisme d'état dans le marché libre. Le rôle de l'état dans le traitement des maux sociaux doit être limité à ceux qu'indique la loi révélée de Dieu.

Nous concluons donc que la campagne du Dr. Sider en faveur de politiques économiques préférentielles pour les pauvres imposées par l'état néglige la distinction entre la justice et la grâce, tout comme elle néglige une notion correcte de séparation de l'église et de l'état. Le Dr Sider transfère l'objectif éthique d'aider les pauvres -- que l'exégèse attribue convenablement à l'église, qui est une une institution rédemptrice caractérisée par la compassion et la persuasion -- à l'état, qui est une institution naturelle caractérisée par la justice et la force. L'engagement moral de s'occuper des pauvres que Dieu étend à son église à la lumière de la grâce que les croyants eux-mêmes ont expérimentée, a été vidé de son caractère gracieux et transféré à l'état civil en général -- cela revient à lâcher "la Bête" dans la nature et à l'encourager à intervenir dans le marché économique, contrairement à ce que prescrit la loi de Dieu (Apocalypse 13:17 ; cf. Deut. 6:8 ; Apo. 12:17).


Notes

[ 1 ] Le mot "charité" est apparenté au mot grec "charis" signifiant "grâce."

[ 2 ] L'expression "frappé de pauvreté" a le mérite de nous rappeler que beaucoup parmi les pauvres et nécessiteux ne le sont pas à cause de leurs propres choix ou de leur propre irresponsabilité. D'autre part, ceux qui refusent de travailler -- et devraient ainsi souffrir la conséquence de ne pas manger (2 Thessaliciens 3:10) -- ne sont pas "frappés" par leur pauvreté, mais ils la subissent d'une manière des plus prévisibles. Ils ont aussi besoin de notre aide, mais d'un type d'aide très différent.

[ 3 ] Cf. mes cours intitulés "Imiter les tendres compassions du Père," "Le paradoxe de la libéralité," "Les veuves et le droits de propriété," "Une attitude chrétienne envers l'argent," "Une vision juste de la richesse," etc. disponibles via Covenant Tape Ministry, 24198 Ash Court, Auburn, CA, 95603.x

[ 4 ] Une comparaison des bénéficiaires de la dîme "de la troisième année" mentionnés en Deutéronome 14:28-29, avec ceux décrits dans d'autres passages (Deutéronome 14:27 ; 16:11, 14 ; 26:11-13) démontre que le caractère spécifique de la dîme de la troisième année ne tenait pas en son soutien aux pauvres particulièrement. Cette dîme aidait l'indigent, mais pas de manière distinctive ni exclusive.

[ 5 ] (Downers Grove: Intervarsity Press, 1977).

[ 6 ] Une manière d'évaluer une opinion éthique consiste à contrôler les affirmations factuelles qui y sont faites pour la soutenir ou à examiner les conséquences pratiques qui en résultent. La polémique du Dr. Sider peut être rapidement trouvée en défaut à cause de ses affirmations inexactes sur le fonctionnement réel des systèmes économiques -- par exemple, quand il prétend de manière non scientifique que la richesse occidentale "cause" la pauvreté du Tiers-Monde, ou ses incompréhensions sur les mauvais effets allégués de la motivation de "profit" dans le marché. Du point de vue des conséquences, les propositions de Dr. Sider ne survivent pas aux conclusions soutenues par des recherches faites par ailleurs sur le genre de programmes contre la pauvreté qu'il préconise : par exemple, George Gilder, Wealth and Poverty (New York: Basic Books, 1981), ou Charles Murray, Losing Ground: American Social Policy, 1950-1980 (New York: Basic Books, 1984).

[ 7 ] Il est caractérisé par la vengeance (Romains 12:19 ; 13:3-4), pas par la miséricorde (Deutéronome 19:13, 21 ; 25:12 ; Hébreux 10:28).

[ 8 ] "L`Éternel est miséricordieux et compatissant... Il ne nous traite pas selon nos péchés, Il ne nous punit pas selon nos iniquités"(Psaume 103:8, 10). "Car c'est par la grâce que vous êtes sauvés... c'est le don de Dieu. Ce n'est point par les oeuvres, afin que personne ne se glorifie" (Ephésiens 2:8-9).

[ 9 ] Sider, Des Chrétiens riches..., chapitre 9.

[ 10 ] Ibid, pp 209, 205, 295 (dans chaque cas, c'est moi qui souligne).

[ 11 ] Ibid, pp 128-129.

[ 12 ] Ibid, p. 115.

[ 13 ] Ibid, p. 93.

[ 14 ] Ibid, p. 94.

[ 15 ] Ibid, pp 205-206.

[ 16 ] Voir Greg L. Bahnsen, La Théonomie dans l'Éthique Chrétienne (2ème éd.; Phillipsburg, NJ: Presbyterian and Reformed, [1977] 1984), and By This Standard (Tyler, TX: Institute for Christian Economics, 1985).

[ 17 ]Par exemple, ibid. pp 129. 209. Le Dr. Sider mentionne également la collecte effectuée par Paul et la remise des dettes pendant l'année sabbatique, mais cette collecte était une offrande volontaire dans le cadre de l'église (cela ne concerne pas une redistribution imposée par l'état) et la remise de dettes (qui ne se faisait pas sous peine de sanction pénale d'état) devrait être encore être pratiquée dans nos affaires interpersonnelles, je pense.

[ 18 ] Par exemple, une famille chinoise vivant à la même époque n'aurait pas pu connaître par la révélation normale qu'une parcelle de terrain particulière lui aurait appartenu en propre de droit divin.

[ 19 ] Sider, pp 87-90, 109, Cf. 115, 129, 205, 209, 213.

[ 20 ] ibid. pp.115-116, 130.

[ 21 ] "Voting One's Christian Conscience," Christian Scholar's Review, Vol. 15, No. 2, 1986, pp.143-144.

[ 22 ] "An Evangelical Vision for Public Policy," Transformation, Vol. 2, No. 3 (Juillet-Septembre 1985), p. 6.

[ 23 ] Comme j'indique au chapitre 6 de mon livre, L'homosexualité : une vision biblique (Grand Rapids: Baker Book House, 1978).


Greg L. Bahnsen, Th.M, Ph.D. (Philosophie ; USC) était un des pasteurs de Covenant Community Church, doyen consultatif des Écoles Chrétiennes de Newport, et Rédacteur Sénior de la revue Antithesis. Cet article a été commandé par le président d'International Church Relief Fund, le colonel V. Doner, afin de commencer un dialogue avec les penseurs chrétiens en vue concernant la stratégie biblique dans l'aide aux pauvres. Cet article de prise de position est imprimé avec la permission d'I.C.R.F.


Copyright © par Covenant Community Church du comté d'Orange 1990


Retour à la page principale de CRTA
Allez à la page d'accueil de la revue Antithesis où cet article a été initialement publié (Helping the Poor Without Feeding the Beast), et dont figure ici la traduction en Français.